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Taupe Au Logis
10 août 2013

Banach Tarski, c'est pas fini ! (Le problème de la mesure)

Ce qui est dérangeant dans le paradoxe de Banach Tarski, c'est que notre notion de "volume" est mauvaise, et qu'il faut la redéfinir. À quoi sert notre volume sinon ? Donc, on se pose la question fondamentale : qu'est ce que c'est le volume ? On est plus ou moins d'accord pour dire que le volume d'un intervalle dans R, c'est sa longueur. On peut généraliser : le volume d'un carré dans le plan, c'est la longueur du côté au carré, etc... Déjà, on remarque que ça dépends de la dimension de l'objet. Par exemple, le carré [0,1] X [0,1] a un volume 1 dans le plan, mais un volume 0 dans l'espace. 

(Pour s'en convaincre, on peut dire qu'un ensemble A a un volume nul dans l'espace si , il existe un pavé P(donc un ensemble de la forme I x J x K où I,J,K sont des intervalles de ) tel que , et  où V(P) désigne le volume de notre pavé. Donc si on prend les pavés de la forme :  on voit que notre carré est inclus dedans, et que le volume du pavé vaut . )

 

Donc, le volume dépend déjà de l'espace dans lequel on se trouve. On peut considérer le volume comme une fonction qui "mesure" la taille des différents ensembles. Notre fonction, qu'on va appeller une mesure, doit vérifier les propriétés suivantes :

1 :   (autrement dit,  prends en argument un sous-ensemble de notre espace X, et renvoie un nombre positif, nul ou alors l'infini, qui représente sa mesure. Pas de mesure négative.)

2 : .  (avec égalité A et B sont disjoints).

3:  (g étant un déplacement de l'espace, une isométrie directe).

Dans l'idéal, notre volume respecterait une propriété du genre. Maintenant, on voit que la condition 2, en généralisant, donne : 

(avec égalité si disjoints)

(si une mesure respecte cette condition, on dit qu'elle est simplement additive. Il est naturelle de se demander si on peut "l'étendre" plus, autrement dit obtenir une inégalité du genre) -la mesure est dite totalement additive :

 

(avec égalité si disjoints)

On va voir que même pour  c'est impossible !! 

Le cas du cercle

On va considérer qu'il existe une mesure   dans le plan qui respecte les propriétés 1, 3 et qui est totalement additive.  Supposons qu'elle vérifie, de plus , où  désigne le cercle unité. Considérons l'action du groupe des rotations rationnelles sur . (On voit bien que ça forme un groupe). On voit que l'orbite du point 0 = (0,1) est tout les points de  qui sont séparés d'un angle rationnel de 0. Est ce que cette orbite prend tout les points ? Non, car le point qui est à un angle  de 0 n'appartient pas à cette orbite. En fait, si M désigne l'ensemble qui contient un et un seul élément de chaque orbites, on a l'égalité . (Là encore, l'existence de M nous est gracieusement offerte par l'axiome du choix.) Comme les angles rationnel sont dénombrables, on voit que card() = card(M).card() . En particulier, M a le cardinal de 
Si x désigne un point de , que vaut  ? Si , alors comme toute les orbites ont la même mesure selon la propriété 3. de la mesure , on a  que : 

(On a utilisé la totale additivité de la mesure).
Et donc notre cercle  a une mesure nulle, pas de chance ... Bon, peut être que si  est non nulle, disons a, ça peut marcher ? Eh non, car dans ce cas, on obtient :

 

Donc c'est définitivement fichu pour avoir une mesure exhaustive (qui s'applique à toute les parties de , totalement additive, invariante par isométrie et tel que   . Il ne faut pas laisser avoir par , si j'avais voulu que  le problème aurait été le même. La seule solution sont les mesures triviales, autrement dit nulle ou infinie.

L'ensemble de Vitali :

Si on "déroule" le cercle sur le segment   on voit qu'on peut utiliser le même argument, pour montrer qu'il n'existe pas de mesure  sur  qui soit exhaustive, totalement additive, invariante par isométrie et tel que. On va se ramener au cas de l'intervalle unité  . On veut donc que . On va considérer la relation suivante : . Si on considère la "translation rationnelle" on voit là encore que ça définit bien un groupe, et donc une action de groupe. On voit là encore que les classes d'équivalence sont infinies, et aussi très difficile à visualiser. On appelle l'ensemble de Vitali l'ensemble qui contient un et un seul représentant de chaque classe d'équivalence (On utilise là aussi l'axiome du choix). Pour les même raisons qu'avant, cet ensemble n'est pas mesurables. (la démonstration est sur Wikipedia). Donc même dans  il n'est pas possible de trouver une mesure exhaustive, invariante par translation, normée sur  et totalement additive. En revanche, si on supprime la condition de totale additivité, on peut trouver une mesure sur  qui vérifie les autres conditions.  

Une mesure sur 

La magie de l'axiome du choix ne s'arrête pas là puisqu'il nous permet aussi de définir une "bonne" mesure sur , autrement dit tel que : 

  ( est invariante par translation)

3 Si A et B sont disjoints, .

Comment faire ? On peut déjà remarquer qu'on choisissant une mesure   (on prends le nombre d'éléments entre 1 et n qui appartiennent à A, et on divise par n) on a une mesure "quasi invariante par translation" puisqu'on a 
On y est presque, il manque juste encore quelques petites considérations (légèrement techniques). On va munir l'espace des fonctions  d'une topologie, donc intuitivement on va décider à l'aide d'éléments de  et de  qu'on appellera des ouverts quelles fonctions sont continues, et quelles fonctions ne le sont pas. (La topologie est l'ensemble de ces ouverts). Là encore, sans trop rentrer dans le détail, on dit qu'un espace topologique est compact si tout recouvrement ouvert de E contient un sous-recouvrement fini. (Par exemples, les compacts de  sont les ensembles fermés et bornés. (fermés signifie ici que toute suite convergente de F converge vers un élément de F). Une des conséquences de l'axiome du choix est le théorème de Tchykonov : "Tout produit d'espace compact est compact". Pourquoi est ce que je parle de tout ça ? Parce qu'une propriété essentielle des compacts est que

"dans une famille de fermés, si toute intersection finie de fermés est non vide, alors toute intersection de fermés est non vide."

En particulier, nos mesures  font parti d'un espace compact (pour montrer qu'il est compact on se sert du théorème de Tychonov) et donc si on prends notre famille de fermés  :  , on a alors

 

Comme cette intersection est non vide, on peut y prendre un élément qui vérifie toute les propriétés de notre mesure idéale, en particulier l'invariance par translation. Un telle mesure est appellé mesure de Von Neumann. Ouf ! On a à peu près fini avec Banach Tarski. Un beau paradoxe quand même, non ? 


(Au passage, je me posais une question, je crois que la réponse est non mais je ne suis pas sûr du tout ... Existe il des ensembles non mesurables qu'on peut construire sans l'axiome du choix ?)

Au passage 2, j'ai vraiment abusé sur la longueur ... Juré, la prochaine fois je parle de trucs plus simples, je vais jamais m'en sortir sinon ...

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